Vanuatu : Le sourire et la biodiversité d'Espiritu Santo
L'archipel des Vanuatu est considéré comme "l'endroit sur terre où les habitants sont les plus heureux " (the world's happiest place ) selon le Lonely Planet 2010. En 2006, c'était the New Economist Foundation qui avait désigné ces petits bouts d'îles du Pacifique selon les mêmes termes. Cela est certainement dû au sourire permanent et magnifique des ni-vanuatus, leur joie de vivre et l'immense générosité des femmes, hommes et enfants qui peuplent les 80 îles de cette petite nation et qui s'exprime au travers de leurs regards profonds et fiers.
Pour nous, les Vanuatu sont un mythe. L'expédition scientifique française Santo 2006 a éveillé notre curiosité, renforcé notre intérêt pour l'étude de la biodiversité et notre envie d'agir pour la conserver. On aime à rappeler que le cadeau du livre de l'expédition fait à Annabelle pour son anniversaire lors d'une petite fête de bureau, est l'un des déclencheur de cette prise de conscience environnementale.
Pour information, cette expédition menée à l'initiative du Muséum national d'Histoire naturelle, de l'Institut de Recherche pour le développement (IRD) et de Pro-Natura International, est la plus ambitieuse mission scientifique jamais menée sur la Biodiversité, rassemblant 160 scientifiques venus de 25 pays du monde et des moyens scientifiques, humains et technologiques d'exception : www.santo2006.org
Alors arriver au Vanuatu, pour l'anniversaire d'Annabelle 3 ans plus tard et voir de nos propres yeux la richesse et la diversité biologique des îles et la beauté de ses habitants est tout simplement magique !
Nous arrivons sur l'île d'Efaté à Port Villa, la capitale des Vanuatu pour quelques jours avant de nous envoler vers l'île de Santo où avait eu lieu l'expédition Santo 2006. Les rencontres avec l'ambassade et l'Alliance Française (l'influence française est très importante dans ce pays, d'ailleurs beaucoup de personnes parlent le français) à la recherche d'informations et de contacts intéressants ne furent pas très concluant !
Deuxième étape de notre découverte des Vanuatu, l'île de Santo. Ensuite nous irons à Tanna au sud.
A notre arrivée sur Santo, à Luganville, nous sommes déçus car personne ne semble avoir entendu parler de l'expédition Santo 2006, alors que pour nous il s'agit de la raison principale de notre visite ici.
Cependant, au fur et à mesure des différents contacts établis nous faisons la connaissance de personnalités étonnantes qui chaque jour nous permettent d'en connaitre un peu plus sur ce caillou perdu dans le Pacifique extrêmement riche et surprenant.
Rapide découverte de la partie est de l'île, accessible via l'unique route.
Des paysages magnifiques : Plages superbes et trous bleus impressionnants au milieu de la forêt.
Chaque rencontre avec des locaux est un moment de partage.
Nous passons des heures à observer et photographier tout type de faune ou de flore.
Et les couleurs de la journée sont à chaque fois un peu plus féériques.
L'anniversaire des 30 ans d'Annabelle est une journée mémorable pour nous deux. Nous avons eu la chance de faire trois plongées fantastiques dont deux sur l'épave du Président Coolidge, un bateau de croisière réquisitionné par l'armée américaine de 200 mètres de long entre -25 et - 80 mètres de profondeur coulé en 1945 par les japonais. Les îles du Pacifique ont été le lieu de terribles affrontements pendant la seconde guerre mondiale et les épaves sont nombreuses.
L'une des plongées sur cette épave s'est faite de nuit et déambuler à l'intérieur de ce monstre d'acier puis y découvrir à -40 m le tableau :"The Lady", est à couper le souffle !
Quelques minutes plus tard, toutes torches éteintes, nous assistons au spectacle des poissons "flash" qui clignotent tout autour de nous comme si nous nous trouvions plongés en plein milieu d'une constellation. Cette expérience est inoubliable !
Nous célébrons l'anniversaire comme il se doit, bien qu'éloignés de tout, de notre famille et de nos amis, avec gâteau, champagne, connexion skype et les pensées et messages des copains ! Que demander de plus ?
Ce petit moment de luxe passé, il est temps de s'intéresser de plus près à notre sujet de prédilection, la relation entre les hommes et la biodiversité !
C'est en allant à la rencontre des locaux, des scientifiques et de ceux qui s'impliquent dans l'étude et la conservation de la diversité biologique que l'on comprend mieux l'importance de la nature au quotidien pour le développement des ni-vanuatu.
"Quel avenir pour le Pacifique ?
Les îles Salomon et Vanuatu dans la zone pacifique présentent une incroyable diversité biologique mais aussi de plus en plus l’évidence d’une détérioration des écosystèmes et d’une gestion non soutenable des ressources naturelles. Cette situation conduit les chercheurs, les organismes administratifs et l’opinion publique à s’interroger sur l’avenir de ces terres et de l’impact sur les futures générations." Retrouvez la suite de cet article sur le site web de l'association, en cliquant ici !
Le marché témoigne de la richesse des ressources alimentaires, fruits et légumes. La nature fournit de nombreuses matières premières telles que le bois et les fleurs ornementales.
Les ni-vanuatu ont une vie simple en relation directe avec la nature qui les entoure.
Sur l'île de Tutuba, les enfants jouent nus en toute naïveté dans ce décor paradisiaque.
Le Kava est la boisson nationale extrait de la racine de l'arbre du même nom. Elle se boit traditionnellement en fin de journée au Nakamal (bar à Kava) véritable lieu d'échanges et de relations sociales. Elle est appréciée pour ses vertus de relaxant musculaire.
Une trop forte consommation peut entrainer des problèmes médicaux, anémie, annihilation du tonus musculaire... Elle est interdite dans certaines autres îles du Pacifique, considérée comme un narcotique ; à consommer donc avec modération !
La préparation du Kava, comme sa dégustation est l' œuvre d'un rituel impliquant principalement les hommes.
Les cocoteraies sont particulièrement nombreuses sur l'île. Les noix de cocos sont ramassées, la chair est extraite puis chauffée dans des fours artisanaux. De ce produit séché sera ensuite extrait le Coprah, huile végétale utilisée dans la fabrication du Monoï et également très appréciée pour ses propriétés émollientes.
L'activité de production du Coprah représente une part conséquente des exportations du pays. Mais ce processus est particulièrement long et laborieux. Les jeunes s'en désintéressent de plus en plus entrainant l'abandon de certaines cocoteraies au profit d'investisseurs étrangers.
Nous avons eu de nombreux échanges avec les acteurs locaux.
Jean Paul nous enseigne les recettes traditionnelles...
Après avoir contacté Philippe Bouchet du Musée d'Histoire Naturelle de Paris, responsable de l'expédition Santo 2006, nous rencontrons selon ses conseils, Rufino Pineda.
Rufino a été le représentant de Santo 2006 à Santo même. Il s'est occupé notamment de toute la dimension logistique.
Grâce à lui nous en apprenons un peu plus sur le déroulement de la mission. Il s'avère qu'il ne reste pas grand chose du camp de base des scientifiques dressé sur la côte ouest de l'île. Cette zone est particulièrement difficile d'accès et par bateau uniquement.
Rencontre avec Vincent Lebot du CIRAD (Centre de recherche français qui répond, avec les pays du sud, aux enjeux internationaux de l'agriculture et du développement), qui nous parle du travail du centre avec les populations locales sur la diversité des cultures pour une autosubsistance alimentaire.
La mixité des cultures offre la meilleure garantie face aux facteurs de changements extérieurs tout en offrant les meilleurs apports nutritifs et de goût aux populations locales.
Retrouvez l'entretien vidéo avec Vincent qui nous parle de la situation agricole au Vanuatu, de son évolution, de l'impact de l'agriculture de rentes mais aussi les moyens mis en œuvre par le CIRAD pour préserver et améliorer la diversité agricole avec un travail "in situ" mais aussi des méthodes participatives avec les populations locales. L'objectif est d'aider et d'apprendre aux Vanuatais à créer de la diversité biologique et les protéger contre les dépendances alimentaires.
Nous faisons également la connaissance de Paea, le polynésien de Tahiti, quasi ni-vanuatu maintenant.
Le 21 mars 2011, nous apprenons que Paea vient de décéder d'une crise cardiaque. Nous avons perdu un grand homme qui nous a beaucoup marqué au cours de ce voyage. Nous pensons à sa famille et son entourage et nous lui rendons hommage. Que son souvenir et ses idées perdurent au fil des années : "A mana'o e a muri mai !" (Pensez à ceux qui viennent après vous !)
Paea est un voyageur passionné des propriétés thérapeutiques des plantes qu'il utilise pour de nombreux remèdes. A présent il est animé par l'envie de nettoyer le Pacifique des années de pollutions plastiques et chimiques. Il voit dans les champignons une alternative de traitement écologique. Il s'intéresse aussi à des projets de développement via une meilleure exploitation des ressources naturelles notamment au travers du projet de son ami Grant et pense de façon solidaire à la création d'une banque alimentaire en réduisant les gâchis.
C'est avec Paea que nous partons retrouver Grant dans son usine, un peu à l'écart de Luganville.
Dans un cadre aussi vert, il est clair que les idées qui y naissent sont nécessairement soutenables.
Grant est un retraité rodhésien, vivant au Vanuatu depuis longtemps maintenant. Inventeur et réalisateur de génie, il a mis au point avec le soutien financier d'un associé une usine de transformation de la noix de coco. Ce projet à été réalisé de ses propres mains et en plusieurs années. Il a utilisé toute son ingéniosité pour transformer les moyens du bord en une chaîne de production optimale, traitant chaque partie organique avec le meilleurs rendement et le minimum de perte.
Une fois les noix de coco livrées, tout est automatique : la séparation de la chair, le séchage, l'extraction du Coprah son traitement, l'utilisation des coques en combustible et engrais organiques...
Cette usine permet selon Grant de produire plusieurs huiles de qualités différentes dont notamment une huile très supérieure car plus pure. Les retombées possibles sont colossales puisque la chaine de création de valeur et sa qualité est maitrisée et les applications étendues : Alimentaire, cosmétique, biocarburant...
Grant était à quelques jours du lancement de la production, confiant et occupé ; si son projet fonctionne, c'est la fin des fours traditionnels obsolètes et les beaux jours des cocoteraies gérées durablement.
De notre côté, nous n'abandonnons pas l'idée de nous rendre sur la côte ouest de l'île, le plus au nord possible. Notre persévérance va payer. Il faut dire que nous nous sommes bien intégrés au petit microcosme de locaux et d'expatriés (grâce notamment à Laurent Merlin ex des forces spéciales) qui se retrouvent le soir dans les différents Nakamal C'est ainsi que nous faisons connaissance avec des acteurs du projet MARC (association qui aide les populations reculées des Vanuatu dans l'accès aux soins de santé) et que nous rencontrons Franck.
Franck est australien, retraité de l'armée puis des services de police il est un "Bush Man" averti, volontairement actif pour aider les projets MARC. Il s'occupe de l'avancement d'un dispensaire de brousse dans un village de la côte ouest, Wusi. Il doit s'y rendre prochainement. Nous nous organisons pour voyager ensemble ainsi qu’avec Jason un compatriote australien qui vit d’ordinaire sur Efaté et qui souhaite connaitre cette partie de l'île. Franck et Jason maîtrisent le Bislama, compétence linguistique très utile pour ce type d’expédition.
Notre mission est à présent de trouver un bateau de pêcheur qui pourrait nous conduire plus au nord, Wusi au moins et plus encore si possible. Ce jour et malgré une journée d'attente il n'y aura pas de départ possible. Mais après de longs échanges "talk talk" en Bislama, nous parvenons à convaincre un bateau et deux équipiers de nous emmener le lendemain. Le principal problème est le ravitaillement en essence qui est très rare et donc très chère. Il faut partir avec de quoi aller et revenir sous peine de finir à la rame.
Notre objectif est d'atteindre Wulavei, soit environ 7 heures de navigation non stop. Nous partirons donc le lendemain et passons la nuit à Tasiriki.
A 5 sur notre petite barque et sous un soleil de plomb, notre embarcation ressemble à une coquille de noix.
La monotonie du 20 chevaux oblige Frank à prendre le relais du capitaine qui s'endort. L'aventure c'est l'aventure.
Heureusement un grand banc de dauphins vient rompre la langueur du voyage. Ils nous offrent un spectacle fascinant et une bonne occasion de se jeter à l'eau pour essayer de nager à leurs côtés.
Nous voilà arrivés à Wusi (mi chemin) pour visiter l'avancement du dispensaire et l'école. Nous sommes dimanche, à l'heure de la messe dans un village à 2 km, les lieux sont plutôt tranquilles.
L'institutrice est francophone, l'environnement et la préservation du milieu naturel, océan, poissons, forêt sont à l'honneur, illustrés en dessins et posters !
Et c'est au bout de 9 heures de barque en incluant les pauses que nous arrivons dans le village de Wulavei. Les locaux sont un peu interloqués de voir débarquer 4 blancs. Notre équipage connait les lieux, la glace se rompt rapidement. Après avoir effrayé les plus petits enfants par nos allures différentes, ils s'habituent petit à petit à notre présence.
Nous profitons de la soirée et d'un soleil moins écrasant pour explorer la colline adjacente au village accompagnés d'une bonne partie des habitants, toujours perplexes sur les raisons de notre visite dans ce coin si reculé.
On y retrouve un groupe d'hommes qui travaillent aux champs et profitent d'un moment de repos pour voir le coucher du soleil.
Et nous redescendons au village comme une longue caravane qui serpente la colline, n'oubliant pas de prendre une mangue ou deux au passage.
Sur notre chemin nous rencontrons les travailleurs d'un exploitant de bois qui depuis plusieurs mois coupent, taillent et exportent du bois de construction et certains arbres anciens et rares et précieux. L'homme d'affaire était venu initialement informer le village et son chef de ses intentions promettant une rétribution au villageois pour l'exploitation de leur forêt. Il n'est plus jamais revenu et jusqu'à présent, des hommes viennent prendre le bois, les quantités réelles dépassent de loin les quantités planifiées et les prix proposés sont bien en deçà des prix du marché. L'arnaque est évidente mais tellement facile lorsque les exploités ne demandent rien par naïveté autant que par crédulité et qu'ils ne disposent pas même d'un mètre pour vérifier les calculs de mètres cubes expédiés.
La soirée et la nuit se passent tranquillement, en toute simplicité, une cuisine au feu de bois, une natte et une moustiquaire.
Et une nouvelle journée commence à l'ombre d'un Banyan immense.
Nous avons rendez-vous avec le chef de village et tous les habitants pour se présenter. Nous expliquons notre intérêt pour la conservation de la nature et les bénéfices pour un développement durable. Nous expliquons que nous sommes venus voir de plus près les paysages observés par l'expédition Santo 2006. Les villageois se rappellent effectivement de cet évènement.
Ils semblent sensibles à nos propos (sous forme de conseils) et semblent conscients des risques liés à la déforestation sauvage. Cependant, ils font valoir leur intérêt pour plus de confort et de développement, un dispensaire, une école, une extension de l'église . Alors devrait commencer des discussions de fond pour préciser leurs besoins et leur financement, les solutions soutenables et les bénéfices associés, leurs mises en place, etc. Mais ce n'est pas l'objectif de notre visite, nous n'avons pas d'ailleurs de solutions toutes prêtes.
Nous apprenons au dernier moment pourquoi Jason est venu jusqu'ici. Il travaille dans la construction et il cherche du bois de bonne qualité et à bon prix. Cependant, nous le sentons hésiter aussi. Il est également sensible à la nature et plus particulièrement à l'environnement marin en temps qu'instructeur de plongée à ses heures perdues. Comme les villageois, il doit bien se rendre compte du gâchis relatif à la coupe d'arbres centenaires, pensée qui se confronte à la terrible affirmation systématique "si ce n'est pas moi qui en profite, ce sera un autre" comme si l'avenir est prévisible et inéluctable. Parions que l'avenir peut être différent, l'éducation, le bon sens et des efforts de solidarité sont nos meilleures chances pour protéger ce capital précieux que sont les forêts.
Nous donnons au chef de village les cahiers et crayons que nous avons apporté pour les enfants, ainsi que quelques paquets de thé et sachets de riz. Il s'agit d'une coutume et d'un signe de respect envers nos hôtes qui nous ont accueillis de bon cœur.
La jeunesse est source d'espoir et de dynamisme.
Les anciens incarnent la sagesse !
Tout le village est heureux de notre visite et nous accompagne jusqu'à la plage, nous offrant de surcroit des paniers de manges.
Un effort collectif pour remettre le bateau à l'eau et nous quittons avec émotion ces visages souriants, doux, rieurs et heureux de la simplicité de leur quotidien et des trois fois rien qui viennent l'animer.
Wulavei s'éloigne doucement et nos bras continuerons longtemps à s'agiter en signe d'au revoir. Nous voilà partis pour 7 heures de navigation qui au rythme de nos baignades, snorkeling et pêche s'étendrons vers 9 ou 10 heures. La curiosité dans ce sens est moins grande quant à l'arrivée mais nous voyageons remplis d'une beauté supplémentaire, celle qui provient des belles âmes...
Taseriki est en vue, sur la plage chacun vaque à ses occupations. Un groupe d'homme et d'enfants font sécher du Kava.
Une pluie de fin de journée vient ajouter à la chaleur d'une longue journée, sa moiteur collante. Des regards interrogateurs et curieux suivent nos silhouettes lentes sous la pluie. L'on s'active à charger une camionnette de tonnes de manges. Le véhicule sera trop chargé pour pouvoir nous prendre.
Nous attendrons, une fois n'est pas coutume un prochain véhicule qui arrivera dans la nuit, sans perturber la douceur et la tranquillité qui émanent de ce lieu.
Nous rêvons éveillés de ce jour parfait, comme un pêcheur en fin de journée plongé dans ses filets en guise de hamac...
Vanuatu, Espiritu Santo du 23 octobre au 05 novembre 2010